La surprenante charge du gendarme des banques britanniques contre la City
Lord Adair Turner, le président de la Financial Services Authority, reproche aux banques du royaume leurs prises de risques excessives. Il s’interroge sur l’utilité sociale de la City et propose pour diminuer les bonus une taxe spéciale sur le modèle de la taxe Tobin.
La charge, venue du gendarme bancaire britannique, a pris la City par surprise. « Si vous voulez faire cesser les rémunérations excessives, vous devez réduire la taille du secteur financier ou appliquer des taxes spéciales sur ses bénéfices », affirme Adair Turner, le président de la Financial Services Authority (FSA), avant d’appeler à une « reconstruction massive du système de régulation financier mondial, pas un simple ajustement ». Nicolas Sarkozy, décidé à porter sur la scène internationale les initiatives françaises pour encadrer les bonus, n’aurait sans doute pas renié ces déclarations.
A Londres, elles ont fait l’effet d’une bombe. Dans cette interview au magazine « Prospect », reprise hier par de nombreux quotidiens britanniques, lord Turner ne ménage pas ses critiques contre les banques. Il leur reproche leurs prises de risque excessives, s’interroge sur l’utilité sociale de leurs activités et se dit partisan d’une taxation des banques pour diminuer les bonus qu’elles accordent à leurs opérateurs de marché, sur le modèle de la taxe Tobin. Si les rémunérations sont trop élevées dans le secteur bancaire, cela tient en effet, selon le patron de la FSA, à la « dérégulation financière caricaturale » des dernières décennies qui ont rendu la City « hypertrophiée ».
Plusieurs pistes sont donc avancées pour y remédier. Adair Turner estime qu’augmenter le capital minimum nécessaire pour exercer des activités boursières serait l’« arme la plus puissante pour éliminer activités et profits excessifs ». Il évoque aussi la possibilité d’une « taxe sur la taille » afin d’éviter que les banques ne deviennent « too big to fail ». Il propose enfin d’instaurer une taxe sur les transactions financières : « Si une hausse du capital requis n’était pas suffisante, je serais heureux d’examiner la possibilité de taxes sur les transactions financières, des taxes Tobin », poursuit-il. La taxe Tobin consiste à prélever un pourcentage sur chaque transaction financière.
Un baroud d’honneur ?
Le ministère des Finances britannique a accueilli la proposition plutôt froidement : « Les taxes sont l’affaire du chancelier, les ministres des Finances du G20 discuteront des bonus qui ont mis en danger le système bancaire, la semaine prochaine à Londres », indiquait-on hier au 11 Downing Street. Les déclarations d’Adair Turner ont été tout aussi modérément appréciées à la City. Certains y voyaient surtout le baroud d’honneur d’un président nommé par Gordon Brown et menacé par un retour aux affaires des conservateurs. Hier, la FSA s’est d’ailleurs empressée d’indiquer que les propos de son président étaient « extraits d’une table ronde et n’étaient pas l’expression d’une nouvelle politique ». Ils marquent de fait une inflexion de l’Autorité des services financiers britannique, critiquée jusque-là pour sa complaisance envers les banquiers. Lord Turner considérait lui-même il y a quelques mois que les bonus étaient un « symptôme » de la crise davantage qu’une cause. La FSA a bien édicté à la mi-août 8 principes destinés à mieux encadrer les bonus. Mais, sous la pression des banques, le texte a été allégé sur plusieurs points clefs.
Les banquiers britanniques avaient agité le spectre des départs en masse des traders vers d’autres places plus « accueillantes » comme New York ou Zurich. « Si on introduit de mauvaises règles ou de mauvaises taxes, on pourrait rapidement voir des activités partir à l’étranger »,a encore affirmé hier l’association des banques britanniques, en réaction aux propos d’Adair Turner. Et de rappeler que « plus de la moitié des 336 banques opérant au Royaume-Uni venaient d’autres pays : c’est une réussite à ne pas prendre à la légère ». La question de l’attractivité des places financières ne se pose visiblement pas qu’à Paris.
Les Echos, Guillaume Maujean, 28/08/09